Reprendre ses études pour préparer et passer une thèse, tout en occupant un poste, est un sacré challenge, dont il ne faut pas sous-estimer les implications. C’est néanmoins possible, comme en témoignent trois membres de la communauté universitaire strasbourgeoise : Elen Guy, Matthieu Mensch et Cathy Blanc-Reibel, qui ont tous trois soutenu récemment, les deux premiers en histoire, la troisième en urbanisme.
Quelle mouche vous a piqués de vous lancer dans une thèse ?
Elen Guy : Je travaille avec des chercheurs à la Direction de la recherche et de la valorisation (Direv). A force de les fréquenter, j’ai eu envie de passer de l’autre côté du miroir. Je pense que j’avais aussi besoin de me challenger. Et je savais que le contexte universitaire dans lequel je travaille serait favorisant.
Matthieu Mensch : Moi aussi, j’avais besoin de me challenger. J’avais d’ailleurs hésité à me lancer dans une thèse après mon DEA, et je n’avais pas osé à l’époque. Là, je me suis dit que c’était le moment ou jamais, surtout si je voulais que cette thèse infléchisse mon parcours professionnel, pas que ce soit juste une manière d’aller au bout de ma passion pour un sujet historique.
Cathy Blanc-Reibel : Pour moi, la thèse venait dans le prolongement d’études que j’ai reprises à 26 ans. C’était assez naturel, comme suite. Par ailleurs, je travaille depuis longtemps avec des chercheurs, et j’ai eu beaucoup de doctorants autour de moi. Cela m’a donné envie d’y aller.
Quel lien avec votre parcours ? Vos études ?
E. G. : J’ai fait des études de langues et européennes, donc rien à voir avec ma thèse en histoire. Le lien s’est fait plutôt avec ma vie professionnelle car j’accompagne des chercheurs dans le montage de projets, souvent dans le contexte européen.
M. M. : J’avais fait un DEA d’histoire, et je travaille au Palais universitaire, je fréquente beaucoup d’historiens. La logique est là. J’ai par ailleurs une passion pour les personnages historiques féminins et notamment les deux duchesses de mon sujet de thèse.
C. B.-R. : J’ai repris des études en histoire de l’art, alors que j’étais responsable administrative et financière dans un laboratoire de biologie. J’ai fait en tout quinze années d’études en travaillant à côté. Trois ans de licence, quatre ans de master, et pour finir, sept années de thèse.
Combien de temps avez-vous passé à préparer votre thèse et comment vous êtes-vous organisés ?
E. G. : J’ai mis six ans à aller jusqu’à la soutenance. Mais j’ai fait des pauses : notamment, j’ai eu un troisième enfant au début de la thèse. J’ai travaillé une grande partie de cette période à mi-temps, pour concilier vie professionnelle, familiale et travail sur la thèse. Et j’ai bénéficié d’un congé de formation professionnelle de seize mois, qui m’a permis de rédiger et sans lequel je n’y serais pas arrivée. Je travaillais à la thèse chaque semaine les mardis après-midis et vendredis toute la journée, le mercredi étant réservé aux enfants. Et j’ai aussi consacré une partie de mes week-ends et de mes vacances, et mobilisé des jours de mon compte épargne-temps.
M. M. : Quant à moi, j’ai consacré un peu moins de cinq ans à ce projet, en travaillant à plein temps, mais sans enfant ! Néanmoins, j’ai quand même le sentiment d’avoir mis ma vie privée de côté pendant toute cette période. J’ai été aussi très soutenu par ma directirice, Véronique Blanloeil, qui m’a permis de m’organiser avec beaucoup de souplesse dans mon travail et par mes équipes, qui ont été très patientes avec moi.
Concrètement, je travaillais deux soirs par semaine à mon bureau au Palais U, une partie des week-ends, des vacances. En plus, j’ai dû beaucoup me déplacer pour consulter des archives à Paris, Naples, Londres et Vienne. J’ai dû bien m’organiser pour faire face à tout cela.
C. B.-R. : J’ai fait ma thèse en sept ans, délai que j’avais anticipé et auquel je me suis tenue. Je travaillais à plein temps, exception faite d’une période de six mois de congé de formation que j’ai utilisée pour écrire. J’ai volontairement choisi un sujet de thèse qui me permettait d’optimiser mon temps : les archives à Strasbourg, l’objet de recherche autour de moi (je vis et je travaille dans la Neustadt), pas de temps de transport… J’ai même eu un bébé au début de la thèse. J’ai travaillé très régulièrement, aidée par le fait que l'inscription au patrimoine mondial de l’humanité de la Neustadt par l’Unesco créait une actualité autour de mon sujet.
Qu’est-ce que cela vous apporté ?
E. G. : Professionnellement, je ne vois pas encore de changement concret. Personnellement, j’ai gagné la satisfaction d’être allée au bout d’un challenge, qui permet l’affirmation de soi. J’ai développé aussi des compétences rédactionnelles et argumentaires. Je regrette un peu que socialement, les docteurs ne soient pas mieux reconnus dans notre pays
M. M. : J’ai le même regret. C’est très différent en Allemagne ou en Italie par exemple. De mon côté, j'ai vu néanmoins des portes s’ouvrir car j’ai acquis une vraie légitimité aux yeux des historiens. J’ai enchaîné plusieurs projets : un « Secret d’Histoire » consacré à la Duchesse de Berry, diffusé en septembre 2020, le pilotage d’une exposition sur la Duchesse d'Angoulême, qui se tiendra à Paris en 2022, des articles, et peut-être la publication de ma thèse.
C. B.-R. : Professionnellement, cela m’a fait passer un cap. Grâce à la thèse, mes missions au sein du laboratoire Dynamiques européennes (Dyname) ont évolué et cela m’a permis de passer un concours interne d’ingénieur d’études. Je sens que j’ai plus de crédit aussi auprès de mes collègues chercheurs.
Et en plus, je me suis offert un beau vélo rouge, ce qui a marqué mon premier changement au quotidien !
Quels conseils donneriez-vous à un collègue qui s’interroge sur l’opportunité de se lancer dans une thèse ?
E. G. : Je lui conseillerais de bien choisir son directeur de thèse, et bien mettre en conscience ce à quoi va ressembler sa vie pendant toute la thèse.
M. M. : Moi, je lui conseillerais aussi de s’assurer de l’intérêt qu’il porte à son sujet. Car cela peut virer à l’obsession… ou au rejet, vers la fin de la thèse.
C. B.-R. : Même conseil de ma part et un « truc » pour se tester : essayer de travailler un an avant de s’engager sur son sujet, pour voir si on accroche vraiment.
E. G. : Enfin, ne pas oublier que c’est un projet familial et s’assurer que les autres membres de la famille sont favorables. Car cela peut devenir le seul sujet de conversation pendant un bon moment…
Propos recueillis par Caroline Laplane